vendredi 4 février 2011

Les missions "Angelo" - Quatrième partie


- - Hé! Qu’est-ce que tu fais là? C’est une propriété privée ici!

Mon sang avait arrêté de circuler. Je me suis figée sur place. Je savais que je faisais quelque chose d’interdit. Je me sentais prisonnière… du mauvais côté de la clôture. J’avais mal aux mains, j’avais froid et il commençait à faire noir.

- - Hé toi! La petite fille au manteau bleu. Je te parle! C’est une propriété privée ici. Tu dois rentrer chez toi!

Je me suis retournée.

Je voulais voir qui me parlait. J’étais terrifiée. ELLE m’avait raconté des histoires de sa vie d’enfance, lorsqu’elle était pensionnaire chez les religieuses. Des histoires de savon sur la langue, des histoires de doigts de petites filles qu’on coince exprès dans les tiroirs du pupitre, des histoires de parents qui ne viennent pas vous visiter le jour de votre anniversaire, des histoires de repas gluants… Des histoires, certes, mais des histoires qui marquent. J’étais sur le terrain du couvent.

- Hé toi!

C’était une grosse religieuse qui m’interpellait. Pas comme celles qu’on voit dans Sister Act, pas une jolie gentille religieuse. Oh que non! Plutôt la parfaite mère supérieure. Énorme dans son rouleau d’étoffe noire. In-mariable, et donc, dangereusement frustrée. Sans espoir de descendants, et donc, allergique aux enfants.

- Je cherche euh… la maison de bois rond.

- La maison de bois rond? Il n’y a pas de maison sur ce terrain. Et tu n’as pas d’affaires ici. Retourne chez toi.

Les histoires de couvent me revenaient… et le personnage principal avait maintenant un visage. Comme ses semaines avaient dû être longues lorsqu’ELLE était petite. Je l’imaginais toute petite dans le grand dortoir noir. J’ai finalement osé :

- Je suis censée apporter ces glands pour les écureuils qui habitent dans la petite maison de bois rond.

Elle a éclaté de rire et m’a balancé cette insulte :

- Et tu vas aussi me dire qu’à ton âge tu crois encore au père Noël? Tiens on dirait que j'entends la clochette du petit renne au nez rouge! Ha! Ha! Ha!

Le choc a été brutal. Non pas que je n’eus pas encore percé le mystère du gros bonhomme à la barbe blanche – franchement! —, mais j’avais la conviction de m’être fait avoir. Par celle que j’aimais le plus au monde. Si les écureuils étaient l’équivalent du père Noël… J’avais honte d’y avoir cru. Je n’avais jamais douté d’elle. J’avais toujours tout pris au mot. Jusque-là, jamais je n’avais remis quoi que ce soit en question. Et là, le doute.

Alors j’ai vidé le contenu de mes poches par terre : mes deux grosses poignées de glands. En fait, je les ai lancés de rage.

Et j’ai repris le chemin de la maison. Les poings fermés dans mes poches vides, j’avais de la difficulté à retenir mes larmes. J’avalais sans cesse et j’écarquillais les yeux pour ne pas que les larmes coulent. Rendue en haut de la côte, j’ai couru vers le parc. Au loin, j’ai vu qu’il y avait de la visite à la maison. Trois voitures étaient garées dans l’entrée; celle de mon père, celle de mon grand-père et une autre que je ne reconnaissais pas. Ils étaient arrivés durant mon escapade. J’ai traversé la rue, et je me suis cachée de l’autre côté du cèdre. Je ne voulais pas qu’on sache que j’avais pleuré. En fait, je ne voulais pas qu’ELLE sache que j’avais pleuré. Et je ne savais pas ce que j’allais lui dire. Mais il y allait y avoir des explications.

J’ai entendu la porte d’entrée s’ouvrir. J’imaginais que mes parents s’inquiétaient, il faisait noir et le parc était désert. Alors je me suis levée et j’ai dit « BOUH! », pour leur faire peur et faire semblant que je m’étais simplement cachée, pour jouer. Mon grand-père a fait le saut, le plan a marché :

- La coquine était cachée derrière le cèdre!

Je suis entrée dans la maison. ELLE était allée « se reposer un peu » m’avait dit ma mère. N’importe quoi (!) Elle ne dormait jamais! J’ai pensé qu’Elle avait réalisé que cette fois, je n’avais pas mordu. Qu’il n’y avait pas de maison à trouver au bout du parc et qu’elle devrait s’expliquer.

Je suis allée m’asseoir dans son fauteuil. J’allais l’attendre jusqu’à ce qu’elle se relève, quitte à y passer la nuit. Et j’allais rester assise dans le fauteuil défendu jusqu’à ce qu’elle s’explique…

Je me suis réveillée le lendemain matin dans la chambre du fond. La chambre mauve. J’imagine que je m’étais endormie en l’attendant et qu’on m’avait transportée dans le lit. J’avais perdu mon avantage stratégique; Elle était déjà levée, bien assise dans son royaume. J’entendais Arthur à la radio… merde.

- Bon matin mon oiseau bleu! Tu as fait de beaux rêves?

Je ne partageais pas sa bonne humeur. L’affront de la veille me revenait. Je me suis assise sur l’autre fauteuil. Je ne lui ai pas répondu.

- Shut the door. J’ai quelque chose à te raconter.

J’ai soupiré puis j’ai fermé la porte. J’allais peut-être savoir pourquoi sans avoir à initier le dialogue. Je me suis étendue sur l’autre divan. Je regardais le plafond.

- Je sais qu’hier, quand tu es allée au parc, tu n’as rien trouvé. Je m’excuse. Je n’avais pas le choix de t’envoyer. C’est à cause d’Ange… C’est à cause d’Angelo.

Je me suis assise. J’écoutais. Attentivement.

- Ce que je vais te raconter mon amie ne doit jamais sortir d’ici. Jure-le. Say I swear

- I swear.

- Il y a plusieurs années, lorsque mes enfants étaient petits et que j’avais encore « mes yeux », je me suis mise à détester ma vie. Alors je suis partie. Quelques mois. J’ai tout laissé derrière. Les enfants, les amis, la maison. Je suis retournée vivre aux États-Unis. Je me suis trouvé un emploi dans un grand hôtel comme réceptionniste. J’étais très jolie lorsque j’étais jeune et je me faisais beaucoup courtiser. Le soir, je chantais au cabaret de l’hôtel. Je reprenais des succès d’Elvis et de crooners. J’avais beaucoup d’admirateurs. Une fois par semaine, un pianiste m’accompagnait. Il s’appelait Angelo.

[à suivre]

1 commentaire:

  1. J'ai adoré les 4 première partie et j'ai vraiment hâte à la 5e partie!!

    Jasmine xx
    =)

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