mercredi 4 juillet 2012

Un après-midi au sérail (Partie 2)

Elle ouvrit la porte d’où s’échappa une dense vapeur tiède et confortable. 


Enveloppante. 


On n’y voyait que quelques pieds devant dans cet épais brouillard.

Françoise alla se soulager - excuse moi très chère… mais je dois expliquer pourquoi tu as soudain disparu! -  alors je me retrouvai seule avec Nephis qui me guida dans une pièce voisine.

L’endroit était époustouflant!

Murs, plancher, escaliers, lavabos… tout était de marbre blanc. Et à travers ce nuage de vapeur, des rubans lumineux émanaient du plafond voûté, perforé.


La pièce était rectangulaire. 


Tout autour, à même les murs, étaient fixés des bassins bas en marbre, à mi-chemin entre le bidet et le lavabo. Il devait y en avoir une dizaine. Au centre de la pièce, une sorte d’autel de marbre.

Les rayons du soleil perçaient l’épaisse vapeur et éclairaient, tels de minuscules phares orientés, la plateforme carrée au centre, lieu des supplices.

Aucune autre cliente ne nous honorait de sa présence.

J'étais là, seule avec mon hôtesse.

-       Schön!, lui dis-je.

Elle m’indiqua, avec ses doigts, que l’endroit avait plus de cinq cent ans. Un frisson d’histoire me parcourut le corps…  mais le rêve fut de courte durée puisque comme ça, elle me retira ma serviette et la plaça sur une crochet au mur.

Seule et nue en Turquie dans un sérail de 500 ans…

Ce n’est que le froid contact de mes fesses sur le marbre qui me ramena à moi - ou peut être fût-ce le fait que mon hôtesse m’arrosait violemment de cette eau très chaude qui coulait dans ce bassin, à côté duquel j’étais maintenant assise. 


Elle m’aspergeait abondamment, à l’aide d’un simple bol en plastique : le rituel rappelait celui du baptême en grande eau.

À son arrivée, Françoise eut droit au même traitement.

Nephis nous indiqua de continuer ainsi, à nous asperger nous-mêmes d’eau chaude, durant une dizaine de minutes, puis elle nous laissa à nous-mêmes.

Disons qu’entre Françoise et moi, la glace de la pudeur était brisée.

Alors nous avons, docilement et en silence, poursuivi cette purification par l’eau. 


Je sentais tranquillement la température de mon corps s’élever au point de transpirer.

Nous sommes restées ainsi -  bien au-delà de dix minutes - à un point où je commençais à croire qu’il s’agissait peut-être d’une arnaque, que nous nous étions fait rouler… qu’il y avait belle lurette que nos effets avaient été dérobés. Surprenant comme la nudité rend vulnérable.

On entendit la grosse porte métallique s’ouvrir puis se refermer. Notre hôtesse revenait sans doute.

Quelle ne fut pas ma surprise de la revoir, cheveux relevés, seins nus et bien pendants, ne portant qu’une culotte rouge!!!


Elle ne faisait donc pas qu’hêler les passantes, elle assurait aussi leur confort!


Alors ce fut à Françoise, puis à moi, de passer, ventre à plat, puis sur le dos, sur l’autel. 
Et Nephis nous passa, sans douceur et sans pudeur (croyez-moi!), un linge de crin partout sur le corps. J’avais l’impression d’être une enfant, lavée par sa mère au retour du camp de vacances! Je vous en épargne, mais je vous assure que le peu de bronzage accumulé jusque-là y est resté!

Après avoir bien été rincée, c’était le tour de la mousse. 


Une deuxième femme se joignit à nous et se chargea de mousser Françoise; Nephis m’avait gardée pour elle.

Et alors elle moussa. Et frotta. Et massa. 


J’était d’abord sur le ventre, sur cet autel de marbre blanc. Sentir ses seins sur mon dos, qui accrochaient au passage, me mit d’abord mal à l’aise… et encore davantage lorsque je réalisai que cela n’avait rien d’accidentel!

Coins et recoins corporels, tout y passa! 


Le geste n’était pas langoureux, n’avait rien de sensuel, mais la main était baladeuse et curieuse… 


Une fois retournée sur le dos je n’avais plus de doute, nous étions en plein rituel du sérail, où les femmes du harem se lavaient entre elles et s’exploraient les unes les autres... les femmes plus âgées montrant aux plus jeunes.

J’arrivais presque à me laisser prendre au jeu lorsqu’elle m’indiqua de m’asseoir et me moussa tant le visage que la moussa m’asphyxia par les narines.

Et splouch! la grande finale : une grosse vague d’eau glacée au visage pour reprendre nos esprits et nous laisser perplexes de croire et de réaliser ce qu’il venait réellement de se passer.

Ce n’est qu’après un bref tour au sauna que nous sommes revenues à nos cabines et que j’ai compris que j’avais été initiée. 


Les femmes du sérail, dans leurs habits d’Ève (elles étaient maintenant toutes nues), étaient bien étendues dans les fauteuils au centre de la pièce, discutant et lisant; notre présence ne les gênaient plus : nous faisons maintenant partie des leurs.

Alors je peux le dire, lors de cet après-midi au sérail, j’ai rencontré une Valide Sultane et j'ai été lavée... !

samedi 30 juin 2012

Un après-midi au sérail (partie 1)



 Françoise y tenait.

-       On ne peut pas quitter Istanbul sans aller dans un hammam!

J’étais d’accord. Mais honnêtement, je ne savais pas vraiment en quoi cela consistait. L’idée d’aller me faire dorlotter me plaisait.

Hammam.
Bain turc… un centre de beauté sans doute : huiles, massages, détente.

Sillonnant les rues d’Istanbul, après l’émerveillement qu’avait suscité la visite de la mosquée bleue, nous avions abandonné l’idée.

Mosquée bleue


Il y avait bien un hammam dans la « zone », tout près de Sultanhammet, mais notre visite y avait été de courte durée :

-       Une vraie trappe à touristes, avait dit Françoise. À cent euros l’heure, c’est une vraie arnaque!

Et l’endroit n’avait rien à envier à nos spas « occidentaux ».
Pour Françoise, c’était le « vrai » hammam turc, ou rien.

Alors nous avons poursuivi notre visite et, comme la journée avançait, nous avions abandonné l’idée.

C’est en dévalant la pente depuis l’İstanbul Üniversitesi - lieu que j’avais mis dans mes «must» - qu’un gendarme nous a redirigés dans la mauvaise direction. Fait commun ici d’être déroutés par les locaux… j’ai ma théorie du complot là-dessus, je vous en reparle... Donc ce gendarme, nous indiquant bien naïvement la route à (ne pas)suivre pour revenir vers chez nous, allait nous mettre sur la route de ce hammam mentionné dans le Guide du routard et que Françoise avait retenu.

Françoise hésitait.
Après la théorie du complot, il y a les coups du hasard, auxquels je ne peux pas résister :

-       Allez Françoise! Le hasard l’a placé sur notre chemin, ont doit y aller!

-       Hallo! Bitte schön!

Une femme dans la cinquantaine nous interpelait depuis trois portes à la gauche de l’entrée du hammam. En fait, ce qui s’avéra être l’entrée des hommes.

-       Hallo, bitte schön!

Il me fallu un moment pour réaliser qu’elle s’adressait à nous en allemand et que je ne comprenais toujours pas le turc!

-       Bitte schön!

Elle nous faisait signe d’approcher. Elle nous invitait, à grands gestes, à entrer. Elle devait être la maîtresse de l’endroit ou la tenancière.

Brune, assez petite et trapue, on aurait dit un italienne.
C’était une « femme pomme ».
Bien portante de la poitrine et du ventre, fesses plates et hanches inexistantes.
J’oppose la « femme-pomme » à la « femme-poire » - dont je suis – qui porte davantage dans les hanches et peu à la poitrine.
L’analogie est efficace.

À force d’échanges (en allemand et, surtout, en gestes) elle a convaincue Françoise. Moi, j'avais été séduite à « Hallo! .

Nous l’avons suivie, et sommes descendues, dans la caverne…

Rien, ni de la rue, ni de la façade et encore moins de notre hôtesse, ne nous avais permis d’anticiper cette descente au sérail[1].

L’endroit consistait en une grande pièce rectangulaire, grande comme une maison unifamiliale à aire ouverte. Au centre, cinq ou six fauteuils sur lesquels étaient assises des femmes, elles étaient cinq. Et un gamin, d’environ huit ans. Les femmes, étendues, allongées, discutaient, lisaient le journal, feuilletaient des magazines. Tout autour, des cabines aux portes presqu’entièrement vitrées attendaient les visiteuses qui iraient se dévêtir sous les regards des femmes du sérail.

Mais surtout, ce qui frappait l’œil, c’était cette lumière. Ces rayons de soleil qui pénétraient la pièce à travers cette multitude de perforations rondes dans le plafond. Ce n’était pas un sous-sol… mais un pièce basse avec un plafond haut, en voûte. Une passoire à soleil...

Attentat à ma pudeur, Néphis, notre hôtesse, nous désigna chacune une cabine et nous indiqua très nettement de tout enlever… puis, elle nous apporta une serviette de bain pour nous couvrir. Comme dirait un femme que j’ai connue dans une autre vie: 

La Porte dorée
- « Pour elle, la tête et le cul, c’était pareil! »

Je pense à ce petit bonhomme de huit ans… il me regardait, l'air coquin, à travers la porte  entrouverte. Une fois adulte, il en aura vu défiler des corps de femmes!

Bien enroulées dans nos serviettes de bains, nues et démunies, Françoise et moi avons suivi Mme Néphis jusqu'à la porte dorée. 

(à suivre)...














[1] Dans la maison turque, le Sérail est l’endroit habité et occupé par les épouses et concubines. Il est exclusivement réservé aux femmes.

mardi 27 mars 2012

C’est vrai, je ne t’aime plus.


Non, ce n’est pas un projet que je mijote depuis longtemps… C’est plutôt un constat qui s’est imposé à moi, au fil de notre relation, au fil de nos incompréhensions. J’y ai longuement réfléchi, notre union me préoccupe. Plus il prend de décisions, moins je l’aime. Je n’ai plus envie de lui, même si je l’ai déjà aimé. Même si nous avons enfanté, nos rejetons ne nous admirent plus, ils n’ont pas dans les yeux ce regard admiratif et plein de fierté. Ils sont cyniques, indignés, en grève, engourdis ou tout simplement accroupis dans la posture de ces trois singes de la sagesse, yeux, bouche et oreilles couverts, préférant tantôt ne rien dire, ne rien entendre ou ne rien voir.

Primate de descendance (et disciple de la théorie de l’évolution) je refuse de m’accroupir, enfin, pas pour le moment. Alors je songe au divorce, parce que le Québec et le Canada ne font plus l’amour. Est-ce une raison suffisante? Évidemment. Parce qu’on cesse de jouer la séduction, de se désirer, le dédain et le mépris tranquille commencent à s’installer. Puis, c’est l’indifférence. L’indifférence qui entraîne ce malsain statu quo. « On ne le changera pas… à son âge! ». Évidemment qu’on ne le changera pas et lui, il ne partira pas. Quel avantage en tirerait-il?

Rationnellement, nous savons tous que multiplier les centres de décision (fédéral, provincial, municipal, scolaire) coûte cher en argent et en incompréhensions, surtout quand nous faisons chambre à part, ou quand chacun tire la couverture. Nous savons tous aussi qu’on ne pense plus à nous là-bas, à Ottawa. Mais on ne se prive pas de nous imposer ce qui est bon pour nous, où notre argent, durement gagné, sera dépensé. On ne s’embête pas du fait que la protection de ce qu’il reste d’environnement sain puisse être remis à plus tard, que la nomination de personnes clés qui ne parlent pas notre langue puisse nous désavantager. Nous sommes redevenus dociles depuis 1995.

Je crois en nous, je crois en moi, mais surtout en vous. Peuple brillant, charmant, combatif et drôle. Eh oui, l’humour aura été notre planche de salut : mieux vaut en rire, même jaune.

Canada, je demanderai le divorce.  Cette fois c’est vrai, je ne t’aime plus.
J’en aurai le cœur brisé, évidemment; nous avons tant de bons souvenirs ensemble. Je ne te quitte pas pour un autre (!), mais pour me reprendre en main. Je suis convaincue que je saurai mieux m’épanouir sans toi; je remettrai mes désirs et aspirations à l’avant-plan, le politique (re)deviendra arbitre de priorités et respectera les volontés des citoyens, en se souvenant que c’est leur argent qu’il dépense. En se réappropriant, la prise de toutes les décisions, les choix qui seront faits me ressembleront davantage, pourront être faits de manière prudente.

Tu sais Canada, nous pouvons rester amis. Je te souhaite de te refaire une vie heureuse, sans moi. Pour ma part, j’ai décidé d’être agent de changement, avec toute l’ingratitude que la vie politique pourra entraîner. J’ose croire que c’est un signe de courage (!) Tel que le dit l’adage : « Il faut bien du courage et de la modération pour soutenir l'ingratitude de ceux qu'on aime. » Québec je t’aime. Québec, je nous aime. L’avenir nous appartient, soyons enfin des divorcés heureux!

Sur les épaules des géants


Il y a 50 ans. Une grande étape avait été franchie, vécue  par nos parents, babyboomers, dans les années 60. Premier moment dans l’histoire où, il était permis de rêver. L’espoir d’être un « self made man » encore très présente laissait tranquillement la place à cette idée qu’ils pouvaient maintenant faire « mieux » que leurs parents, en allant à l’école. Ils pourraient peut-être sortir de leur niveau social, ne plus être prolétaire, comme dirait mon père.

Aujourd’hui. Prenons un petit bout de chou. Disons 10-12 ans. D’accord il n’est déjà plus si petit, mais c’est encore un enfant. Demandez-lui ce qu’il fera plus tard. Et répétez l’exercice avec tous les amis de sa classe. Vous serez surpris : aucun de ces enfants n’exprimera de limites quant à ce qu’il peut réaliser dans la vie. Il sait que toutes les possibilités sont là, à sa portée. Médecin, comédien, architecte, pompier… nous avons su démocratiser le savoir pour permettre à chacun de réaliser son plein potentiel.

Il y a 30 ans. J’ai tout à fois voulu être diplomate, médecin, infirmière, ballerine. Mes parents avaient cette manière d’espérer et de croire en nous en nous disant qu’au fil des générations, les membres de notre famille se sont améliorés, que leurs réussites ont toujours été de plus en plus grandes. Ils espéraient que nous ferions plus et mieux et ils en seraient fiers.

Maintenant. Je ne sais pas si j’ai fait mieux que mes parents (j’en doute), mais je sais que tous les possibles étaient là. Je sais aussi que je vous ait fait sourire et réfléchir au cours des derniers mois; j’ai réfléchi, parlé, critiqué, parce que j’ai pu apprendre à réfléchir, parler et critiquer, en allant à l’école. Et j’en suis reconnaissante. Cet effort collectif qui vous avez fait pour moi, j’accepte de le faire pour nos enfants, pour qu’ils nous fassent sourire de fierté à leur tour.

Et demain? Mes parents ont accepté d’être des géants et m’ont laissé monter sur leurs épaules pour voir plus loin… et c’est maintenant au tour des miens (qui ne sont déjà plus si petits) de grimper sur mes épaules. Je suis aujourd’hui fière de ces jeunes qui s’unissent, qui sortent de l’apathie collective, s’impliquent, s’indignent et agissent.

Ils ont de 17 à 30 ans, ils sont au tiers de leur vie. Ce sont nos enfants. Ils sont les géants de demain… un demain qui s’annonce trouble et où il faudra pouvoir voir encore plus loin et où nous aurons besoin de géants, pour supporter sur leurs épaules le poids de cette pyramide inversée.