mercredi 4 juillet 2012

Un après-midi au sérail (Partie 2)

Elle ouvrit la porte d’où s’échappa une dense vapeur tiède et confortable. 


Enveloppante. 


On n’y voyait que quelques pieds devant dans cet épais brouillard.

Françoise alla se soulager - excuse moi très chère… mais je dois expliquer pourquoi tu as soudain disparu! -  alors je me retrouvai seule avec Nephis qui me guida dans une pièce voisine.

L’endroit était époustouflant!

Murs, plancher, escaliers, lavabos… tout était de marbre blanc. Et à travers ce nuage de vapeur, des rubans lumineux émanaient du plafond voûté, perforé.


La pièce était rectangulaire. 


Tout autour, à même les murs, étaient fixés des bassins bas en marbre, à mi-chemin entre le bidet et le lavabo. Il devait y en avoir une dizaine. Au centre de la pièce, une sorte d’autel de marbre.

Les rayons du soleil perçaient l’épaisse vapeur et éclairaient, tels de minuscules phares orientés, la plateforme carrée au centre, lieu des supplices.

Aucune autre cliente ne nous honorait de sa présence.

J'étais là, seule avec mon hôtesse.

-       Schön!, lui dis-je.

Elle m’indiqua, avec ses doigts, que l’endroit avait plus de cinq cent ans. Un frisson d’histoire me parcourut le corps…  mais le rêve fut de courte durée puisque comme ça, elle me retira ma serviette et la plaça sur une crochet au mur.

Seule et nue en Turquie dans un sérail de 500 ans…

Ce n’est que le froid contact de mes fesses sur le marbre qui me ramena à moi - ou peut être fût-ce le fait que mon hôtesse m’arrosait violemment de cette eau très chaude qui coulait dans ce bassin, à côté duquel j’étais maintenant assise. 


Elle m’aspergeait abondamment, à l’aide d’un simple bol en plastique : le rituel rappelait celui du baptême en grande eau.

À son arrivée, Françoise eut droit au même traitement.

Nephis nous indiqua de continuer ainsi, à nous asperger nous-mêmes d’eau chaude, durant une dizaine de minutes, puis elle nous laissa à nous-mêmes.

Disons qu’entre Françoise et moi, la glace de la pudeur était brisée.

Alors nous avons, docilement et en silence, poursuivi cette purification par l’eau. 


Je sentais tranquillement la température de mon corps s’élever au point de transpirer.

Nous sommes restées ainsi -  bien au-delà de dix minutes - à un point où je commençais à croire qu’il s’agissait peut-être d’une arnaque, que nous nous étions fait rouler… qu’il y avait belle lurette que nos effets avaient été dérobés. Surprenant comme la nudité rend vulnérable.

On entendit la grosse porte métallique s’ouvrir puis se refermer. Notre hôtesse revenait sans doute.

Quelle ne fut pas ma surprise de la revoir, cheveux relevés, seins nus et bien pendants, ne portant qu’une culotte rouge!!!


Elle ne faisait donc pas qu’hêler les passantes, elle assurait aussi leur confort!


Alors ce fut à Françoise, puis à moi, de passer, ventre à plat, puis sur le dos, sur l’autel. 
Et Nephis nous passa, sans douceur et sans pudeur (croyez-moi!), un linge de crin partout sur le corps. J’avais l’impression d’être une enfant, lavée par sa mère au retour du camp de vacances! Je vous en épargne, mais je vous assure que le peu de bronzage accumulé jusque-là y est resté!

Après avoir bien été rincée, c’était le tour de la mousse. 


Une deuxième femme se joignit à nous et se chargea de mousser Françoise; Nephis m’avait gardée pour elle.

Et alors elle moussa. Et frotta. Et massa. 


J’était d’abord sur le ventre, sur cet autel de marbre blanc. Sentir ses seins sur mon dos, qui accrochaient au passage, me mit d’abord mal à l’aise… et encore davantage lorsque je réalisai que cela n’avait rien d’accidentel!

Coins et recoins corporels, tout y passa! 


Le geste n’était pas langoureux, n’avait rien de sensuel, mais la main était baladeuse et curieuse… 


Une fois retournée sur le dos je n’avais plus de doute, nous étions en plein rituel du sérail, où les femmes du harem se lavaient entre elles et s’exploraient les unes les autres... les femmes plus âgées montrant aux plus jeunes.

J’arrivais presque à me laisser prendre au jeu lorsqu’elle m’indiqua de m’asseoir et me moussa tant le visage que la moussa m’asphyxia par les narines.

Et splouch! la grande finale : une grosse vague d’eau glacée au visage pour reprendre nos esprits et nous laisser perplexes de croire et de réaliser ce qu’il venait réellement de se passer.

Ce n’est qu’après un bref tour au sauna que nous sommes revenues à nos cabines et que j’ai compris que j’avais été initiée. 


Les femmes du sérail, dans leurs habits d’Ève (elles étaient maintenant toutes nues), étaient bien étendues dans les fauteuils au centre de la pièce, discutant et lisant; notre présence ne les gênaient plus : nous faisons maintenant partie des leurs.

Alors je peux le dire, lors de cet après-midi au sérail, j’ai rencontré une Valide Sultane et j'ai été lavée... !

samedi 30 juin 2012

Un après-midi au sérail (partie 1)



 Françoise y tenait.

-       On ne peut pas quitter Istanbul sans aller dans un hammam!

J’étais d’accord. Mais honnêtement, je ne savais pas vraiment en quoi cela consistait. L’idée d’aller me faire dorlotter me plaisait.

Hammam.
Bain turc… un centre de beauté sans doute : huiles, massages, détente.

Sillonnant les rues d’Istanbul, après l’émerveillement qu’avait suscité la visite de la mosquée bleue, nous avions abandonné l’idée.

Mosquée bleue


Il y avait bien un hammam dans la « zone », tout près de Sultanhammet, mais notre visite y avait été de courte durée :

-       Une vraie trappe à touristes, avait dit Françoise. À cent euros l’heure, c’est une vraie arnaque!

Et l’endroit n’avait rien à envier à nos spas « occidentaux ».
Pour Françoise, c’était le « vrai » hammam turc, ou rien.

Alors nous avons poursuivi notre visite et, comme la journée avançait, nous avions abandonné l’idée.

C’est en dévalant la pente depuis l’İstanbul Üniversitesi - lieu que j’avais mis dans mes «must» - qu’un gendarme nous a redirigés dans la mauvaise direction. Fait commun ici d’être déroutés par les locaux… j’ai ma théorie du complot là-dessus, je vous en reparle... Donc ce gendarme, nous indiquant bien naïvement la route à (ne pas)suivre pour revenir vers chez nous, allait nous mettre sur la route de ce hammam mentionné dans le Guide du routard et que Françoise avait retenu.

Françoise hésitait.
Après la théorie du complot, il y a les coups du hasard, auxquels je ne peux pas résister :

-       Allez Françoise! Le hasard l’a placé sur notre chemin, ont doit y aller!

-       Hallo! Bitte schön!

Une femme dans la cinquantaine nous interpelait depuis trois portes à la gauche de l’entrée du hammam. En fait, ce qui s’avéra être l’entrée des hommes.

-       Hallo, bitte schön!

Il me fallu un moment pour réaliser qu’elle s’adressait à nous en allemand et que je ne comprenais toujours pas le turc!

-       Bitte schön!

Elle nous faisait signe d’approcher. Elle nous invitait, à grands gestes, à entrer. Elle devait être la maîtresse de l’endroit ou la tenancière.

Brune, assez petite et trapue, on aurait dit un italienne.
C’était une « femme pomme ».
Bien portante de la poitrine et du ventre, fesses plates et hanches inexistantes.
J’oppose la « femme-pomme » à la « femme-poire » - dont je suis – qui porte davantage dans les hanches et peu à la poitrine.
L’analogie est efficace.

À force d’échanges (en allemand et, surtout, en gestes) elle a convaincue Françoise. Moi, j'avais été séduite à « Hallo! .

Nous l’avons suivie, et sommes descendues, dans la caverne…

Rien, ni de la rue, ni de la façade et encore moins de notre hôtesse, ne nous avais permis d’anticiper cette descente au sérail[1].

L’endroit consistait en une grande pièce rectangulaire, grande comme une maison unifamiliale à aire ouverte. Au centre, cinq ou six fauteuils sur lesquels étaient assises des femmes, elles étaient cinq. Et un gamin, d’environ huit ans. Les femmes, étendues, allongées, discutaient, lisaient le journal, feuilletaient des magazines. Tout autour, des cabines aux portes presqu’entièrement vitrées attendaient les visiteuses qui iraient se dévêtir sous les regards des femmes du sérail.

Mais surtout, ce qui frappait l’œil, c’était cette lumière. Ces rayons de soleil qui pénétraient la pièce à travers cette multitude de perforations rondes dans le plafond. Ce n’était pas un sous-sol… mais un pièce basse avec un plafond haut, en voûte. Une passoire à soleil...

Attentat à ma pudeur, Néphis, notre hôtesse, nous désigna chacune une cabine et nous indiqua très nettement de tout enlever… puis, elle nous apporta une serviette de bain pour nous couvrir. Comme dirait un femme que j’ai connue dans une autre vie: 

La Porte dorée
- « Pour elle, la tête et le cul, c’était pareil! »

Je pense à ce petit bonhomme de huit ans… il me regardait, l'air coquin, à travers la porte  entrouverte. Une fois adulte, il en aura vu défiler des corps de femmes!

Bien enroulées dans nos serviettes de bains, nues et démunies, Françoise et moi avons suivi Mme Néphis jusqu'à la porte dorée. 

(à suivre)...














[1] Dans la maison turque, le Sérail est l’endroit habité et occupé par les épouses et concubines. Il est exclusivement réservé aux femmes.

mardi 27 mars 2012

C’est vrai, je ne t’aime plus.


Non, ce n’est pas un projet que je mijote depuis longtemps… C’est plutôt un constat qui s’est imposé à moi, au fil de notre relation, au fil de nos incompréhensions. J’y ai longuement réfléchi, notre union me préoccupe. Plus il prend de décisions, moins je l’aime. Je n’ai plus envie de lui, même si je l’ai déjà aimé. Même si nous avons enfanté, nos rejetons ne nous admirent plus, ils n’ont pas dans les yeux ce regard admiratif et plein de fierté. Ils sont cyniques, indignés, en grève, engourdis ou tout simplement accroupis dans la posture de ces trois singes de la sagesse, yeux, bouche et oreilles couverts, préférant tantôt ne rien dire, ne rien entendre ou ne rien voir.

Primate de descendance (et disciple de la théorie de l’évolution) je refuse de m’accroupir, enfin, pas pour le moment. Alors je songe au divorce, parce que le Québec et le Canada ne font plus l’amour. Est-ce une raison suffisante? Évidemment. Parce qu’on cesse de jouer la séduction, de se désirer, le dédain et le mépris tranquille commencent à s’installer. Puis, c’est l’indifférence. L’indifférence qui entraîne ce malsain statu quo. « On ne le changera pas… à son âge! ». Évidemment qu’on ne le changera pas et lui, il ne partira pas. Quel avantage en tirerait-il?

Rationnellement, nous savons tous que multiplier les centres de décision (fédéral, provincial, municipal, scolaire) coûte cher en argent et en incompréhensions, surtout quand nous faisons chambre à part, ou quand chacun tire la couverture. Nous savons tous aussi qu’on ne pense plus à nous là-bas, à Ottawa. Mais on ne se prive pas de nous imposer ce qui est bon pour nous, où notre argent, durement gagné, sera dépensé. On ne s’embête pas du fait que la protection de ce qu’il reste d’environnement sain puisse être remis à plus tard, que la nomination de personnes clés qui ne parlent pas notre langue puisse nous désavantager. Nous sommes redevenus dociles depuis 1995.

Je crois en nous, je crois en moi, mais surtout en vous. Peuple brillant, charmant, combatif et drôle. Eh oui, l’humour aura été notre planche de salut : mieux vaut en rire, même jaune.

Canada, je demanderai le divorce.  Cette fois c’est vrai, je ne t’aime plus.
J’en aurai le cœur brisé, évidemment; nous avons tant de bons souvenirs ensemble. Je ne te quitte pas pour un autre (!), mais pour me reprendre en main. Je suis convaincue que je saurai mieux m’épanouir sans toi; je remettrai mes désirs et aspirations à l’avant-plan, le politique (re)deviendra arbitre de priorités et respectera les volontés des citoyens, en se souvenant que c’est leur argent qu’il dépense. En se réappropriant, la prise de toutes les décisions, les choix qui seront faits me ressembleront davantage, pourront être faits de manière prudente.

Tu sais Canada, nous pouvons rester amis. Je te souhaite de te refaire une vie heureuse, sans moi. Pour ma part, j’ai décidé d’être agent de changement, avec toute l’ingratitude que la vie politique pourra entraîner. J’ose croire que c’est un signe de courage (!) Tel que le dit l’adage : « Il faut bien du courage et de la modération pour soutenir l'ingratitude de ceux qu'on aime. » Québec je t’aime. Québec, je nous aime. L’avenir nous appartient, soyons enfin des divorcés heureux!

Sur les épaules des géants


Il y a 50 ans. Une grande étape avait été franchie, vécue  par nos parents, babyboomers, dans les années 60. Premier moment dans l’histoire où, il était permis de rêver. L’espoir d’être un « self made man » encore très présente laissait tranquillement la place à cette idée qu’ils pouvaient maintenant faire « mieux » que leurs parents, en allant à l’école. Ils pourraient peut-être sortir de leur niveau social, ne plus être prolétaire, comme dirait mon père.

Aujourd’hui. Prenons un petit bout de chou. Disons 10-12 ans. D’accord il n’est déjà plus si petit, mais c’est encore un enfant. Demandez-lui ce qu’il fera plus tard. Et répétez l’exercice avec tous les amis de sa classe. Vous serez surpris : aucun de ces enfants n’exprimera de limites quant à ce qu’il peut réaliser dans la vie. Il sait que toutes les possibilités sont là, à sa portée. Médecin, comédien, architecte, pompier… nous avons su démocratiser le savoir pour permettre à chacun de réaliser son plein potentiel.

Il y a 30 ans. J’ai tout à fois voulu être diplomate, médecin, infirmière, ballerine. Mes parents avaient cette manière d’espérer et de croire en nous en nous disant qu’au fil des générations, les membres de notre famille se sont améliorés, que leurs réussites ont toujours été de plus en plus grandes. Ils espéraient que nous ferions plus et mieux et ils en seraient fiers.

Maintenant. Je ne sais pas si j’ai fait mieux que mes parents (j’en doute), mais je sais que tous les possibles étaient là. Je sais aussi que je vous ait fait sourire et réfléchir au cours des derniers mois; j’ai réfléchi, parlé, critiqué, parce que j’ai pu apprendre à réfléchir, parler et critiquer, en allant à l’école. Et j’en suis reconnaissante. Cet effort collectif qui vous avez fait pour moi, j’accepte de le faire pour nos enfants, pour qu’ils nous fassent sourire de fierté à leur tour.

Et demain? Mes parents ont accepté d’être des géants et m’ont laissé monter sur leurs épaules pour voir plus loin… et c’est maintenant au tour des miens (qui ne sont déjà plus si petits) de grimper sur mes épaules. Je suis aujourd’hui fière de ces jeunes qui s’unissent, qui sortent de l’apathie collective, s’impliquent, s’indignent et agissent.

Ils ont de 17 à 30 ans, ils sont au tiers de leur vie. Ce sont nos enfants. Ils sont les géants de demain… un demain qui s’annonce trouble et où il faudra pouvoir voir encore plus loin et où nous aurons besoin de géants, pour supporter sur leurs épaules le poids de cette pyramide inversée.

samedi 5 février 2011

Les missions "Angelo" - Cinquième partie

- Angelo.

Elle avait soupiré.

- Angelo, le rebelle inatteignable. Et moi, la fugitive libérée. En fait, nous étions tous les deux en fugue. Je n’ai jamais su ce qu’il fuyait, mais je l’ai souvent deviné. C’est Johnnie Walker qui a joué les entremetteurs.

Et Elle m’a tout raconté.

Les soirs, après ses journées de travail comme réceptionniste, Elle allait prendre quelques verres au cabaret de l’hôtel. Angelo était un habitué du cabaret et il y avait ses habitudes. Trois Johnnie durant la soirée et un petit pour la route. Mais Elle aussi était une intime de Johnnie. Un soir, les réserves de Johnnie se sont retrouvées pratiquement à sec. Le barman lui avait dit :

- I’m sorry ma’am. But I’ll have to offer you something else. Angelo is playing tonight and he’ll be furious if I can‘t serve him his whisky.

Quand Angelo était arrivé, elle avait reconnu le pianiste du cabaret. Elle ne lui avait jamais vraiment prêté attention. Il était d’une allure quelconque. Pas assez distingué pour Elle, un « étrange », m’a-t-elle dit.

S’il y a une chose qui lui importait, c’était la galanterie. J’imagine son air contrarié devant le barman qui lui refusait ce qu’Elle voulait. Le fait qu’on ait réservé son Johnnie au profit de cet étrange l’avait irritée. Mais elle était joueuse… je dirais même qu’elle était playeur au sens très large du terme. Du gambling – jeux de cartes, de dés, de roulette - à la persuasion par le charme, elle savait avoir le dernier mot. Elle avait donc joué.

Elle était allée le voir avec un verre vide à la main.

- Let’s make a deal.

Elle lui avait proposé un toast inusité. Elle lui avait tendu le verre vide et lui avait dit qu’elle était capable de lui faire verser suffisamment de larmes pour en remplir le fond du verre et qu’il les boive. Si elle y parvenait, il acceptait de lui offrir le Johnnie restant et de l’engager comme chanteuse. Si elle échouait, elle chanterait pour lui gratuitement durant six mois et lui offrirait le Johnnie durant tout ce temps.

Je l’imagine. Elle n’était pas grande, à peine cinq pieds et portait le talon plat. Mais elle avait des cheveux noir geai, aux reflets bleutés et le regard perçant. On aurait pu la confondre avec Edith Piaf. Je suis certaine que c’est cette ressemblance qui a joué en sa faveur, ce beau sosie de la môme.

Il a évidemment accepté le pari. Il devait être amusé et surtout, que pouvait-il réellement y perdre ?

Je ne sais pas si cela s’est réellement passé ainsi, mais elle m’a raconté être montée s’asseoir sur le piano et lui, il se serait assis sur le banc. Cette audace féminine lui aurait valu le silence de la salle. Elle aurait chanté, sans micro ni accompagnement, cet air. Cet hymne qu’elle écoutait encore tous les jours lorsque j’étais enfant. Cette mélodie que faussait une petite rose en plastique posée sur la table près d’elle lorsque l’on pressait son unique feuille raide. Ne lui ayant jamais réellement connu ce côté romantique, je m’étonne encore de ce qu’elle ait pu oser ces tendres paroles :

Love me tender,

Love me dear,

Tell me you are mine.

I’ll be yours through all the years,

Till the end of time.


When at last your dreams come true

Darling this I know

Happiness will follow you

Everywhere you go**

- Alors on a fait un toast! Moi avec mon verre de Johnnie et lui, avec son petit fond de larmes! Ha! À moi le Johnnie et à moi le cabaret! Tu sais mon amie, je n’ai jamais perdu mes paris…

Je suis certaine qu'elle avait été foudroyante de crédibilité. Elle-même avait sans doute lutté contre les sanglots.

Alors elle avait commencé à accompagner Angelo. Ils se tenaient compagnie sur scène et ils partageaient maintenant le Johnnie.

[à suivre]
** Ce dernier couplet n'a pas été repris par le King dans la version commune de Love me tender ce qui en fait un extrait inédit.

vendredi 4 février 2011

Les missions "Angelo" - Quatrième partie


- - Hé! Qu’est-ce que tu fais là? C’est une propriété privée ici!

Mon sang avait arrêté de circuler. Je me suis figée sur place. Je savais que je faisais quelque chose d’interdit. Je me sentais prisonnière… du mauvais côté de la clôture. J’avais mal aux mains, j’avais froid et il commençait à faire noir.

- - Hé toi! La petite fille au manteau bleu. Je te parle! C’est une propriété privée ici. Tu dois rentrer chez toi!

Je me suis retournée.

Je voulais voir qui me parlait. J’étais terrifiée. ELLE m’avait raconté des histoires de sa vie d’enfance, lorsqu’elle était pensionnaire chez les religieuses. Des histoires de savon sur la langue, des histoires de doigts de petites filles qu’on coince exprès dans les tiroirs du pupitre, des histoires de parents qui ne viennent pas vous visiter le jour de votre anniversaire, des histoires de repas gluants… Des histoires, certes, mais des histoires qui marquent. J’étais sur le terrain du couvent.

- Hé toi!

C’était une grosse religieuse qui m’interpellait. Pas comme celles qu’on voit dans Sister Act, pas une jolie gentille religieuse. Oh que non! Plutôt la parfaite mère supérieure. Énorme dans son rouleau d’étoffe noire. In-mariable, et donc, dangereusement frustrée. Sans espoir de descendants, et donc, allergique aux enfants.

- Je cherche euh… la maison de bois rond.

- La maison de bois rond? Il n’y a pas de maison sur ce terrain. Et tu n’as pas d’affaires ici. Retourne chez toi.

Les histoires de couvent me revenaient… et le personnage principal avait maintenant un visage. Comme ses semaines avaient dû être longues lorsqu’ELLE était petite. Je l’imaginais toute petite dans le grand dortoir noir. J’ai finalement osé :

- Je suis censée apporter ces glands pour les écureuils qui habitent dans la petite maison de bois rond.

Elle a éclaté de rire et m’a balancé cette insulte :

- Et tu vas aussi me dire qu’à ton âge tu crois encore au père Noël? Tiens on dirait que j'entends la clochette du petit renne au nez rouge! Ha! Ha! Ha!

Le choc a été brutal. Non pas que je n’eus pas encore percé le mystère du gros bonhomme à la barbe blanche – franchement! —, mais j’avais la conviction de m’être fait avoir. Par celle que j’aimais le plus au monde. Si les écureuils étaient l’équivalent du père Noël… J’avais honte d’y avoir cru. Je n’avais jamais douté d’elle. J’avais toujours tout pris au mot. Jusque-là, jamais je n’avais remis quoi que ce soit en question. Et là, le doute.

Alors j’ai vidé le contenu de mes poches par terre : mes deux grosses poignées de glands. En fait, je les ai lancés de rage.

Et j’ai repris le chemin de la maison. Les poings fermés dans mes poches vides, j’avais de la difficulté à retenir mes larmes. J’avalais sans cesse et j’écarquillais les yeux pour ne pas que les larmes coulent. Rendue en haut de la côte, j’ai couru vers le parc. Au loin, j’ai vu qu’il y avait de la visite à la maison. Trois voitures étaient garées dans l’entrée; celle de mon père, celle de mon grand-père et une autre que je ne reconnaissais pas. Ils étaient arrivés durant mon escapade. J’ai traversé la rue, et je me suis cachée de l’autre côté du cèdre. Je ne voulais pas qu’on sache que j’avais pleuré. En fait, je ne voulais pas qu’ELLE sache que j’avais pleuré. Et je ne savais pas ce que j’allais lui dire. Mais il y allait y avoir des explications.

J’ai entendu la porte d’entrée s’ouvrir. J’imaginais que mes parents s’inquiétaient, il faisait noir et le parc était désert. Alors je me suis levée et j’ai dit « BOUH! », pour leur faire peur et faire semblant que je m’étais simplement cachée, pour jouer. Mon grand-père a fait le saut, le plan a marché :

- La coquine était cachée derrière le cèdre!

Je suis entrée dans la maison. ELLE était allée « se reposer un peu » m’avait dit ma mère. N’importe quoi (!) Elle ne dormait jamais! J’ai pensé qu’Elle avait réalisé que cette fois, je n’avais pas mordu. Qu’il n’y avait pas de maison à trouver au bout du parc et qu’elle devrait s’expliquer.

Je suis allée m’asseoir dans son fauteuil. J’allais l’attendre jusqu’à ce qu’elle se relève, quitte à y passer la nuit. Et j’allais rester assise dans le fauteuil défendu jusqu’à ce qu’elle s’explique…

Je me suis réveillée le lendemain matin dans la chambre du fond. La chambre mauve. J’imagine que je m’étais endormie en l’attendant et qu’on m’avait transportée dans le lit. J’avais perdu mon avantage stratégique; Elle était déjà levée, bien assise dans son royaume. J’entendais Arthur à la radio… merde.

- Bon matin mon oiseau bleu! Tu as fait de beaux rêves?

Je ne partageais pas sa bonne humeur. L’affront de la veille me revenait. Je me suis assise sur l’autre fauteuil. Je ne lui ai pas répondu.

- Shut the door. J’ai quelque chose à te raconter.

J’ai soupiré puis j’ai fermé la porte. J’allais peut-être savoir pourquoi sans avoir à initier le dialogue. Je me suis étendue sur l’autre divan. Je regardais le plafond.

- Je sais qu’hier, quand tu es allée au parc, tu n’as rien trouvé. Je m’excuse. Je n’avais pas le choix de t’envoyer. C’est à cause d’Ange… C’est à cause d’Angelo.

Je me suis assise. J’écoutais. Attentivement.

- Ce que je vais te raconter mon amie ne doit jamais sortir d’ici. Jure-le. Say I swear

- I swear.

- Il y a plusieurs années, lorsque mes enfants étaient petits et que j’avais encore « mes yeux », je me suis mise à détester ma vie. Alors je suis partie. Quelques mois. J’ai tout laissé derrière. Les enfants, les amis, la maison. Je suis retournée vivre aux États-Unis. Je me suis trouvé un emploi dans un grand hôtel comme réceptionniste. J’étais très jolie lorsque j’étais jeune et je me faisais beaucoup courtiser. Le soir, je chantais au cabaret de l’hôtel. Je reprenais des succès d’Elvis et de crooners. J’avais beaucoup d’admirateurs. Une fois par semaine, un pianiste m’accompagnait. Il s’appelait Angelo.

[à suivre]

lundi 24 janvier 2011

Les missions "Angelo" - Troisième partie


Je devais avoir 7 ou 8 ans. Elle m’avait dit :

- - Vite, mets ton manteau, sors, va dans le parc en face. Tout au fond, va voir la petite maison de bois rond. Dis-moi si la famille d’écureuils y habite encore. Je crois qu’ils vont mourir de faim cet hiver. Tu sais ce que tu dois faire.

Je dois ici faire une parenthèse concernant les écureuils. Nous avions une relation très particulière avec ces animaux. C’était notre cause, les écureuils. Chaque automne, il y avait la corvée « glands ». Dans le parc, en face, il y avait une forêt de chênes. Chaque automne, ma sœur et moi traversions avec chacune un contenant de margarine vide et nous devions le remplir de glands. Puis, de retour à la maison, il fallait trier les glands par grosseur. Dans ce temps-là, les seuls glands qui existaient étaient ceux des chênes… Une fois triés, on les cachait dans la cour, dans les trous des blocs de ciment gris qui retenaient l’escalier de la porte de côté, que plus personne n’utilisait. On avait deux écureuils : un petit et un gros. Alors les petits glands étaient pour le petit et les gros…

Il n’avait jamais été question du lieu de résidence de nos protégés jusqu’à ce jour-là. Alors je suis sortie pour aller au fond du parc, à la recherche de la cabane de bois rond. Il fallait que je repère la maison et que je livre des glands. J’étais inquiète pour eux, et j’avais aussi un peu peur. Une histoire de morsure d’écureuil qu’avait subie mon père m’avait laissée craintive d’en voir un s’approcher de trop près.

Le problème était que le fond du parc était clôturé : une haute clôture d’une dizaine de pieds.

De l’autre côté de la clôture, la forêt était assez dense, plus dense que dans le parc. J’avais beau arpenter la clôture à la recherche de la petite maison en bois, je ne la voyais pas. Je me concentrais à regarder entre les arbres, rien. Alors j’ai essayé de grimper la clôture, pour passer de l’autre côté. Rendue à mi-hauteur, j’ai eu peur. Mon pied a glissé et je me suis retrouvée pendue par les mains agrippées au grillage. Je me suis coupée aux mains, et je me suis retrouvée par terre.

Alors j’ai décidé de longer la clôture, vers le haut de la côte, en direction de la rue principale. Il fallait bien que la clôture s’arrête quelque part et de là, je pourrais la contourner et aller voir dans la forêt.

Rendue en haut de la côte, la clôture faisait le coin… bien entendu, elle entourait le terrain sur lequel se trouvait le couvent. J’ai poursuivi mon chemin, à la recherche de l’entrée. J’y suis finalement arrivée. L’idée était de longer la clôture de l’intérieur du terrain tout en cherchant la fameuse maison de bois. J’étais presque rendue à la hauteur de la maison lorsqu’une voix m’a hélée :

- Hé! Qu’est-ce que tu fais là? C’est une propriété privée ici!

[à suivre]

dimanche 23 janvier 2011

Les missions "Angelo" - Deuxième partie



Angelo, c’était un nom de code. À la fin, il suffisait qu’elle me dise : « Ange » et je comprenais. Hop dans l’entrée, les bottes, le manteau, la petite soeur, tous les cousins qui traînaient, la petite horloge de table et quelques billets dans l’armoire. Selon ce qu’elle me disait, en langage codé, encore:

- - Haut gauche deux. Milieu droite un. Bas droite un.

Dans ce temps-là, l’argent était en papier. Elle gardait des enveloppes, classées dans une commode monsieur. Les billets de 1 $ étaient en haut à droite. Les billets de 2 $ en haut à gauche. Les billets de 5 $ et de 10 $ sur la tablette du centre. Les 20 $ et les 50 $ en bas. Et elle avait des billets de 100 $, dans un portefeuille d’homme, dans un sac à main, dans le garde-robe. Je savais tout. J’avais pensé le système avec elle. Sur les enveloppes, c’était mon écriture maladroite. Je l’aidais à classer ses billets lorsque mon grand-père revenait de la Caisse populaire. Les billets quand on est aveugle, et bien c’est tout pareil!

- - Haut gauche deux. Milieu droite un. Bas droite un.

Trente-quatre. Trente-quatre dollars. Trente-quatre minutes. C’était l’entente.

Lorsque le code sortait, mon cœur s’arrêtait de battre. J’étais comme en mission secrète. On avait notre système et les autres n’y voyaient que du feu. Mais il fallait faire vite. J’avais deux minutes, à peine, pour que tout le monde soit dehors. Les enfants, c’était mon rôle. Elle, elle s’occupait des adultes. Il ne fallait pas oublier l’horloge de table.

La fameuse horloge. Je l’ai gardée, quelque part dans mes boîtes de souvenirs. L’attraction! Les missions, c’étaient les seuls moments où on pouvait jouer avec l’horloge de table! Parce qu’elle pouvait être désagréable cette horloge. Elle « disait » littéralement l’heure… :

— "Il est vingt heurE, cinquantE quatrE minutEs."

Elle disait l’heure, avec l’accent français. Cela l’irritait. Elle seule avait le droit d’interroger l’horloge.

-- - Privilège d’aveugle, disait-elle. Tu as des yeux toi! Et bien, sers-t’en!

Vlan. Sans chichi. Gare à celui qui osait appuyer sur ce bouton qui délivrait la voix française. Il aurait reçu quelque chose par la tête. Elle avait beau ne pas voir, elle savait viser. J’en ai vu qui se sont pris des bols de bonbons, une pantoufle, une balle de laine (pas trop douloureux, mais celui qui l’a reçue en pleine gueule avait deux ans…), un carton de cigarettes complet et même ses lunettes par la tête. Ne JAMAIS interroger la française… le mot avait fini par circuler et les lancers se sont calmés.

- - Angelo!

Par deux fois, en mission, j’étais seule. Je n’ai jamais compris pourquoi je devais aussi mettre le plan à exécution, parce que MOI je savais ce que le mot codé cachait. Mais elle avait insisté lorsque je lui avais demandé pourquoi :

- - Il ne faut pas que tu t’enrouilles. Tu dois rester très vive à chaque fois. Je dis le code, tu mets le plan à exécution.

Une chose cependant, lorsque j’étais seule, il lui est arrivé de dire :

- Porte-monnaie sac à main, un.

Cela voulait dire 100 $! C’était sa façon de me remercier pour ma discrétion. Mais cent minutes à passer en dehors de la maison, c’est long.

Alors j’ai commencé à tricher. Et j’ai aussi montré aux petits à tricher dans la mission. Devant la maison, il y avait un immense cèdre, taillé en grosse boule, style boule de l’expo 67. Alors si une mission avait lieu durant l’hiver, et bien on se réfugiait de l’autre côté de la boule, côté rue. Et je me mettais les billets dans les poches. Et on faisait parler la française :

« Il est – Il est – Il est deux – Il est deux – Il est deux heurE et cinquantE cinq minutEs »

« Il est deux – Il est deux heurE et cinquantE six minutEs »

- - OK ça va faire! Chacun notre tour sinon, je vais dire que vous avez joué avec l’horloge de table!

La menace marchait à tout coup.

Quand j’y repense, c’est drôle de se dire qu’on se cachait. Elle était aveugle. On aurait tout aussi bien pu s’asseoir sur le perron ou aller dans la cour arrière ou jouer au parc en face. Mais l’entente était qu’on ne devait pas se trouver sur la rue ni autour de la maison. On devait aller à un endroit d’où on ne voyait pas la maison, « pas même son toit », elle avait insisté là-dessus. Mais quand c’était l’hiver, nos parents nous interdisaient d’aller en haut de la côte, et en bas, et bien les gens ne toléraient pas qu’on joue sur leur terrain. Les missions étaient compliquées l’hiver.

Quand la mission avait lieu l’été, c’était plus agréable. On montait la côte et on allait à la « Tabagie chez Sandra ».

Je nous imagine nous, trois-quatre petits culs, les poches remplies d’argent. Trente-cinq dollars de jujubes à la cenne, ça en fait du mal de cœur. Et des chocolats, et des jus en sacs transparents. Des pailles avec de la poudre, des tubes de cire avec du jus, des popsicles, des gommes avec du jus, des gommes avec des blagues, des poubelles avec des bonbons poudreux en forme de déchets à l’intérieur, des gommes au savon, des jujubes en forme de bouches, de pieds, des casses-gueules plus gros que nos bouches, des sacs de chips à 25 sous, des bouteilles de liqueur au crème soda… Et des sacs à surprises. Les fameux sacs à surprises que nos parents ne voulaient jamais acheter. On pouvait s’offrir tout ce qu’on voulait… et évidemment, sous réserve de l’approbation de celle qui possédait l’argent : MOI!

Toute cette histoire de mission a commencé un jour d’automne, en fin d’après-midi.

[à suivre]